Au cœur du jeu : quand Dostoïevski défiait son destin à Saxon

Octobre 1866, Saxon-les-Bains, Valais. Dans le tranquille décor alpin de cette bourgade, à l'époque thermale, un homme, assis face à sa sténographe, lutte contre le temps. Fiodor Dostoïevski, géant de la littérature russe, égrène les mots avec une urgence palpable.

En seulement 26 jours, dans le somptueux décor entouré des montagnes valaisannes, il dicte l'intégralité du roman "Le Joueur".
Cet exploit ne révèle pas seulement le génie littéraire, il est aussi l'écho d'une bataille personnelle contre ses démons intérieurs, dans un lieu peu commun pour un écrivain russe : une petite ville thermale suisse connue pour ses sources curatives et son casino tentateur.

Saxon-les-Bains, au cœur de la vallée du Rhône, offre à Dostoïevski plus qu'un simple refuge : le bourg valaisan devient le théâtre d'une confrontation dramatique entre l'écrivain et sa propre addiction au jeu. Le casino de la ville, avec son atmosphère chargée de promesses et de déchéances, incarne le décor réel et symbolique du roman. C'est dans cette ambiance de hasard et de désespoir que Dostoïevski, alors submergé par des dettes de jeu accablantes, trouve l'inspiration pour son œuvre sur les rouages psychologiques et les ravages du jeu.
D'autre part, le contrat qui le lie à son éditeur est draconien : s'il ne livre pas un nouveau manuscrit rapidement, il risque de perdre les droits d'auteur sur ses futures publications pendant neuf ans. La pression est extrême mais lui permet de forger dans cette adversité un véritable chef-d'œuvre. Accompagné d'Anna Grigorievna Snitkina, son attentive sténographe qui deviendra plus tard sa femme, Dostoïevski se lance dans une course effrénée contre la montre.
Ensemble, ils transforment l'urgence financière et le stress en une créativité fulgurante.

"Le Joueur" est ainsi écrit comme un miroir de la vie tumultueuse de Dostoïevski, reflétant à la fois sa passion pour les jeux de hasard et ses relations complexes avec les femmes, thèmes qui traversent de manière récurrente toute son œuvre.
Le séjour de Dostoïevski à Saxon-les-Bains est donc loin d'être un simple épisode biographique ; il est une alchimie de lieu et de moment, où le contexte géographique de la vallée du Rhône enrichit la texture narrative de ce roman. Ce n’est pas seulement un acte de création littéraire, mais une lutte contre le sort, une quête de rédemption personnelle à travers l'art.

Le Valais, avec ses paysages qui commandent à la fois le respect et inspirent la contemplation, restera dans les pages du Joueur comme un témoin, à la fois silencieux et puissant, de cette période cruciale de la vie de Dostoïevski.

Crans-Montana, le 1er mai 2024

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